Monsieur le président, les 21 et 22 novembre derniers se sont tenus à Niamey les travaux de la 8ème Assemblée Générale de l’Association des Institutions Supérieures de Contrôle ayant en Commun l’Usage du Français (AIS-CCUF). Quelle importance revêt à vos yeux une telle rencontre pour nos Etats qui s’échinent à instaurer en leur sein les mécanismes de la bonne gouvernance en matière de gestion des finances publiques ?
Dans tous les pays membres de cette Association, la constitution a consacré l’établissement des relations de collaboration entre les Institutions Supérieures de Contrôle (Cours des Comptes) et les parlements pour l’accomplissement de leurs missions de contrôle externe de l'exécution du budget de l'Etat. Au Niger, la constitution du 25 novembre 2010 dispose en son article 90 que « l'Assemblée nationale vote la loi, consent l'impôt et contrôle l'action du gouvernement ». A l'article 115, notre loi fondamentale stipule que « l’Assemblée nationale peut demander à la Cour des comptes de mener toutes enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques ». C'est dire toute la complémentarité entre des missions de l'Assemblée nationale et de la Cour des Comptes.
Monsieur le président, au regard des dispositions constitutionnelles, l’Assemblée nationale a un pouvoir de contrôle sur la gestion des deniers publics. Comment ce contrôle s'exerce-t-il ?
L’Assemblée nationale contrôle la gestion des deniers publics à trois (3) niveaux du processus de la loi de finances : avant l'exécution de la loi de finances : le contrôle a priori; en cours d'exécution de la loi de finances : le contrôle permanent ; et après l’exécution de la loi de Finances : le contrôle a posteriori.
Premier niveau : le contrôle à priori s'effectue avant l'examen et le vote du projet de loi de finances de l’année, à l'occasion du Débat d'Orientation Budgétaire (DOB) et pendant l'examen et le vote du projet de la loi de finances de l'année (avec les auditions des membres du gouvernement, le suivi des recommandations précédemment adressées au Gouvernement, etc.).
Deuxième niveau : le contrôle permanent intervient soit au moment de l'adoption des projets de lois de finances rectificatives communément appelés collectifs budgétaires ; dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale (questions écrites et orales, interpellations, questions d’actualité et enquêtes parlementaires) ; ou lors de l'examen des rapports trimestriels d'exécution du budget de l’Etat. Troisième niveau : le contrôle à posteriori, s'exerce lors de l’examen du projet de loi de règlement.
Plus concrètement, quelle est la nature de la collaboration entre l'Assemblée nationale et la Cour des comptes ?
La collaboration entre ces deux institutions constitutionnelles est définie par la constitution elle-même et s’exerce principalement à trois niveaux : la Cour des Comptes assiste l’Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi de règlement. Elle produit pour le compte de celle-ci un rapport sur le contrôle d'exécution des lois de finances et une Déclaration Générale de conformité entre les comptes des ordonnateurs et ceux des comptables publics ; deuxièmement, à la demande de l'Assemblée nationale, la Cour des comptes mène toutes enquêtes et études se rapportant à l'exécution des recettes et des dépenses; et enfin, la Cour des Comptes peut être consultée sur toute question par l'Assemblée nationale.
Monsieur le président, nos lecteurs n’étant pas tous des personnes averties en matière de finances publiques, pouvez-vous en quelques mots rappeler ce qu’est la Loi de Règlement ?
Au sens de la Directive N°6 de l'UEMOA transposée au Niger à travers la Loi N°2012-09 du 26 mars 2012 portant loi organique relative aux lois des Finances, « la loi de règlement constate les résultats financiers de chaque année civile et rend compte de l'exécution du budget ainsi que de l’utilisation des crédits ». De 2016 à 2018, l’Assemblée nationale a voté les lois de règlement des années 2012, 2013, 2014, 2015 et 2016 plaçant ainsi notre pays au premier rang de ceux, membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest africaine, à être à jour sur ce chapitre. C'est ici le lieu de saluer la disponibilité constante dont a fait montre la Cour des comptes sous la conduite de son ancien Président, le regretté Seydou Sidibé devant la mémoire de qui nous nous inclinons.
Les projets de lois de règlement des cinq années sus citées ont été élaborés, en amont, par le ministère des Finances que nous félicitons au passage pour avoir permis à notre pays d’atteindre ce palmarès au sein de l'espace UEMOA. C’est la preuve, s’il en faut, de la transparence qui caractérise la gouvernance financière dans notre pays.
Peut-on dire que la Cour des Comptes est le gendarme financier de la République ? Quel est le fondement de ses prérogatives ?
Cette prérogative de la Cour des Comptes tire son fondement de l'article 141 de la Constitution qui dispose que «la cour des comptes est la plus haute juridiction de contrôle des finances publiques. Elle exerce une compétence juridictionnelle, une compétence de contrôle ainsi qu'une compétence consultative. Elle est juge des comptes de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements et entreprises publiques, des autorités administratives indépendantes et de tout organisme bénéficiant du concours financier de l'Etat et de ses démembrements ». Cette disposition a été reprise in extenso dans la Loi Organique N. 2012-08 du 26 mars 2012 déterminant les attributions, la composition, l'organisation et le fonctionnement de la Cour des Comptes du Niger.
L’Assemblée nationale bénéficie de la subvention du budget de l'Etat ; est-ce à dire que ses comptes sont aussi soumis au jugement de la Cour des comptes ?
L’Assemblée nationale bénéficie du concours financier de l'Etat. Elle est donc soumise à la même loi. Le périmètre d'intervention de la Cour des Comptes est défini par l’origine et le caractère « public » des ressources allouées, indépendamment de l’institution ou de la structure qui en est bénéficiaire.
Cette question a été tranchée par le Conseil Constitutionnel de Transition du Niger, dans son arrêt n°010/12/CCT/MC du 17 mai 2012 dans lequel il a dit et jugé que : "Considérant que l'article 30 nouveau (du Règlement intérieur de l'Assemblée nationale) prévoit la création d'une Commission Spéciale de Contrôle et de Vérification des Comptes ; qu’au point 10 dudit article cette Commission approuve le compte administratif de l'ordonnateur par arrêté signé de son Président et lui donne quitus de sa gestion' ” ; se fondant sur l'article 141 alinéa 2 de la Constitution qui dispose que la Cour des comptes est "juge des comptes de l'Etat" et donc de tous ses démembrements dont l’Assemblée nationale, le Conseil Constitutionnel de Transition du Niger conclut que cette disposition de l'article 30 point 10 " n’est pas conforme à la Constitution”. En conséquence, l’exécution du budget de l’Assemblée nationale est soumise au contrôle de la Cour des comptes.
Qu’en est-il alors de l'autonomie financière de l'Assemblée nationale consacrée par l'article 83 de la Constitution ? En effet, l’article 83 de la Constitution du 25 novembre 2010 dispose que « L’Assemblée nationale jouit de l’autonomie financière. Un règlement financier et comptable détermine les modalités de cette autonomie financière en fixant les règles d’élaboration, d'adoption, d’exécution et de contrôle du budget de l'Assemblée nationale. Le budget de l’Assemblée nationale, arrêté et approuvé par le Bureau, est annexé au budget général de l'Etat ».
Ce débat a été tranché par la jurisprudence dans l'espace UEMOA. Pour la Cour Constitutionnelle du Bénin, « l’autonomie financière prévue par la constitution ne saurait se confondre avec un budget autonome entendu comme « budget ou état de prévision distinct de la loi de finances de l’Etat...» (...) qu'il s’ensuit que seuls les démembrements de l'Etat que sont les collectivités locales, et les organismes publics pouvant disposer de ressources propres en quantité suffisante pour exercer sans difficultés financières majeures les compétences qui leur sont dévolues, bénéficient réellement de l’autonomie financière (...), qu'ainsi, le budget de l’Assemblée nationale, ne comportant aucun élément de ressources, ne saurait techniquement conférer à ladite Assemblée l’autonomie financière qui, en Droit des Finances Publiques, s’analyse comme la «situation d’une collectivité ou d’un organisme disposant d’un pouvoir propre de gestion de ses recettes et ses dépenses, regroupées en un budget ou dans un document équivalent »(...); que, dès lors, l'ex-pression "autonomie financière” doit en réalité s'analyser comme une autonomie de gestion de ses dépenses à partir d’un budget propre, préparé par elle, voté par sa plénière, dans le strict respect de l’équilibre économique et financier de la Nation” (Décision DCC 10-144 du 14 décembre 2010,).
En conclusion, le budget de l’Assemblée nationale doit respecter les équilibres fixés dans la loi de finances et donc être soumis aux arbitrages budgétaires. Monsieur le président, l'Assemblée nationale est en session dite budgétaire.
Peut-on connaître les nouveautés que renferme le projet de lois des finances 2019 par rapport à la loi des finances 2018?
La loi des finances 2019 prévoit cinq mesures nouvelles que sont : l’institution de la taxe sur les activités financières ; les modifications de dispositions fiscales en matière d’impôt sur le bénéfice, de régime d'imposition et en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; la restauration de la TAT-TIE ; le rapatriement, dans le code général des impôts, des mesures fiscales dérogatoires contenues dans les régimes sectoriels ; et l’inscription des droits pétroliers dans la loi de finances. Je ne vous en dis pas plus à ce stade car le projet du budget est en cours d'examen au niveau des différentes commissions permanentes que renferme l'Assemblée.
Monsieur le président, pour revenir à la réunion de l'assemblée générale de l’Association des Institutions Supérieures de Contrôle ayant en commun l'Usage du Français (AISCCUF), quelles sont les attentes de la Commission des Finances et du Budget vis-à-vis de cette association d’envergure internationale ?
Nos attentes sont l'institution d'un programme de partage et d'échange d’expériences entre les Cours des Comptes et les Commissions des Finances des parlements des pays membres dans le domaine de contrôle de l'exécution des budgets de l'Etat et des institutions bénéficiaires de fonds publics ; l’élaboration d’un plan de renforcement de capacités des députés et du personnel des Commissions des finances ; et l’assistance à l'Assemblée nationale dans sa mission de contrôle des finances publiques par la mise à disposition des experts pluridisciplinaires.